Marine Assoumov


















peintre et collagiste

Paysages intérieurs


Une matière épaisse, étalée au couteau

Les « paysages intérieurs » de Marine Assoumov ont surgi en 1998, dans la continuité d’une œuvre qui s’est exprimée auparavant sur de multiples autres thèmes : fragments d’ateliers, décombres de villes, rugby en corps à corps ou parfums de femme ... A travers la diversité des sujets traités, la technique picturale de Marine Assoumov présente une constante : une huile étalée au couteau, avec des superpositions plus ou moins apparentes des couches de peinture, donnant une matière plus riche qu’un simple passage.

Cette profondeur est d’autant plus prégnante que l'artiste remet souvent sur le métier son ouvrage, reprenant des tableaux anciens, grattant de vieilles toiles pour en réutiliser le support. En partant de toiles non vierges, comme le sculpteur qui doit s’adapter au matériau qu’il façonne, Marine construit le tableau à partir des teintes et des reliefs préexistants à son intervention. Cette part du hasard dans l’élaboration du tableau contribue à donner à certaines toiles cette impression « travaillée » de croûte épaisse, qui participe de la conception des tableaux abstraits. Les tableaux de Marine Assoumov, et notamment ses paysages, se situent au croisement de l’abstrait et du figuratif. Mais de la structure au détail, de la lumière à l’ombre, n’est-on pas toujours dans le continuum d’une même représentation picturale ?

Larges aplats de couleurs vibrantes

Outre le travail de la pâte, ce qui saisit dans les paysages du peintre, ce sont les larges aplats de couleurs vibrantes : des jaunes solaires, des rouges garance ou vermillons, des verts francs ou légèrement ocrés, des bleus nuancés et profonds. Ces contrastes plus ou moins vifs, toujours harmonieux, créent une véritable dynamique dans la statique apparente des aplats. Si pour le profane, la peinture s’exprime d’abord par la couleur, alors Marine Assoumov, par la richesse de sa palette, est bien un peintre.

Des compositions construites

Marine Assoumov se révèle aussi par le caractère construit de ses tableaux. L’œil chemine du figuratif dépouillé de ses paysages inspirés par des images volées aux media qui nous entourent ou par des souvenirs croqués au vol lors de promenades ou de voyages, évoquant telle campagne toscane dénudée, telle falaise crayeuse, telle alternance de champs striés à l’abstraction quasi pure de plages colorées où seuls subsistent quelques aplats de couleurs intenses, étalées en couches épaisses et franches : bleu d’une mer (ou jaune selon l’inspiration de l’artiste), gris d’une plage sablonneuse, pans de vert, coulées de bruns, une pointe de rouge en équilibre ...

A la limite de l’abstraction

L’idée d’un paysage s’accroche-t-elle encore au tableau, ou ne renvoie-t-il plus qu’à lui-même, pure composition de couleurs et de formes ? En ce sens, la peinture de Marine Assoumov s’inscrit, involontairement sans doute, dans la démarche « pédagogique » du passage à l’abstraction inaugurée par des artistes comme Mondrian ou Kandinsky.

Une mémoire de paysage, une peinture du sentiment

Mais de cette communauté d’inspiration, l’oeuvre de Marine Assoumov se détache par une originalité et une sensibilité qui lui sont propres, par la richesse de sa palette (l’alliance des tons produisant cette atmosphère très personnelle), comme par l’expression contrastée de ses paysages, qui vont d’une structure dépouillée à la construction d’une multiplicité de contrastes de touches légères. Ils vibrent dans une certaine lumière, ils chantent presque.
De paysages construits, abstraits, issus de l’imagination, comme une mémoire de paysages, le spectateur entre dans une vibration de tons …
Le paysage devient alors support de l’émotion, une peinture du sentiment, un paysage intérieur.
N’est-ce pas le propre de l’artiste de nous accompagner dans ce passage de la perception du monde extérieur à l’intériorité ?

Christiane Peccoud, 2004